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Si le pésan a tant semé et récolté, c'est qu'il en a besoin de ce beau froment. Il le portera au moulin et en ramènera ses deux pochées de farine, celle qui fera le pain et qu'il aura fait mélanger de farine de seigle et une autre plus petite, spécialement tamisée pour gâteaux et tourtas, "carquelins" et "bourre coquins" (gâteau fait de farine, levain, eau, sel, un peu de graisse de porc, quelques fois des œufs, pour remplir le ventre de ceux qui avaient toujours faim, surtout les dimanches et les jours de fêtes). Il en faut "du grain" toute l'année pour nourrir les bêtes et les poules qui pondront de beaux "cocos".
Comme ustensiles, ceux qu'on y trouvait : les fourches de bois pour la paille, et de fer pour le foin, les "fléaux ou "fias" pour battre à la main, les "grêles" (tamis), et autres vans et tarares, les "quarteaux" et "boisseaux", tous ces récipients de bois nécessaires autrefois pour la mesure. Les paquets de liens sont là, aussi, sur les bois de charpente, à l'abri de l'humidité et attendant d'une année à l'autre que l'on ait besoin d'eux. Pendus aussi, quelques paquets de "mojhettes" (haricots), d'ail et d'oignons. Enfin ! et comme toujours dans les greniers, les vieilles "âcries" (vieilles choses en général, vieux matériel de peu de valeur), inutiles que l'on ne veut pas jeter et qu'on garde par économie, pour, en cas où, un jour ! on eh aurait l'utilité et qui sont ici, à l'abri et loin des coups de pieds malchanceux et de la casse.
Ne nous éternisons pas ici, et escendons les marches de pierre, entre lesquelles poussent déjà le "quirit" (giroflées. Celles qui poussent, naturellement dans nos murs, cours et jardins. Sont à fleurs marrons), les marguerites et autres verdures. Quelques rosés trémières, nos "passeroses", nous donnent des caresses et nous rappellent les rivages méditerranéens dans la blancheur éclatante du soleil. Quelques pas, frôlons le banc de pierre, et, foulant aux pieds les galets verticaux sur lesquels se précipitera "l'agoût" des tuilles les jours de pluie, attardons-nous quand même devant notre "devanture". C'est la façade typique de nos vieilles maisons "ol'ronaises" (écrit ici de cette façon, comme aux siècles derniers et pour reproduire la prononciation ; l'e est supprimé), mur grossièrement crépi, blanchi à la chaux (une fois par an, la veille de la "fouere") et dont le bas est enduit de goudron pour absorber l'humidité, sur cinquante à soixante-dix centimètres de haut. Ici, devant chez elle, Madame, en plus des giroflées et des oxalis (trèfles rosés) qui y sont venus seuls, a planté le rosier à fleurs jaunes et le rosé, à grosses fleurs qui sentent si bon. Les rosiers hybrides ne sont pas encore inventés. Ils seront peut-être plus beaux, mais ils n'auront jamais l'odeur des vieux rosiers de grand-mère.
Françoué, lui, a mis au coin du mur la treille de "passe-musqué" parce qu' "o doune des grousses gueurnes por mette dans l'eau de vie".
Elle est bien belle notre maison, dans sa simplicité, et baignée du grand soleil. Simplement trois ouvertures : la porte, la seule fenêtre vitrée sur l'évier, et là-haut à l'étage, la "babouette" (trou réservé dans les murs pour clarté ou aération sans fenêtre ni vitrage. Souvent percé en meurtrière) du grenier mais c'est beau quand même... C'est à nous !...
"Té" (tenez ou "tiens, te voilà". Employé en exclamation ou interjection, n'a rien à voir avec le verbe tenir) !! voilà le chai ! Il est long... long pour nous : douze mètres, largeur six mètres ; tout bas, comme les chais de l'île, la charpente juste au-dessus de la tête ; écrasé, à cause des grands vents du large qui arrachent les tuiles, et, c'est pourquoi nous avons mis des pierres plates partout sur les bordures du toit pour tenir l'ensemble.
Mais c'est un beau chai ! Je veux dire grand pour un petit paysan oléronais, car dans un chai de cette grandeur, on peut déjà y loger une belle récolte, celle d'un propriétaire moyen et le nôtre est petit, petit !
Peu d'ouvertures, le vin ça se laisse à l'ombre et dans le noir. Une porte à double battant, dont l'un est tenu par le "valet" (grand crochet de fer. Maintient les grosses portes et portails) et ne s'ouvrira que pour laisser passer les futailles joufflues. Une seule fenêtre dans ces douze mètres de long, la "décharge" qui s'ouvre sur le pressoir.
Regardons un peu avant d'entrer ! A droite et à gauche de la porte, dans le mur de soixante centimètres d'épais, ont été creusés des trous qui sont barrés d'une pierre transversale, les cordes qui pendent nous renseignent : ici, on amarre les bêtes.
Entrons quand même "coum o dit Françoué, : le toué ne nous cherra pas su la tête".
Côté opposé au soleil, quatre trous par lesquelles passent la lumière quatre "babouettes" (trou réservé dans les murs pour clarté ou aération sans fenêtre ni vitrage. Souvent percé en meurtrière) percées en meurtrières, c'est surtout pour le courant d'air.
A l'intérieur, c'est tout un programme. C'est comme au grenier, là-bas de quoi manger, ici de quoi boire. Boire oui, mais pas beaucoup, de l'"éve dau poué" (l'eau du puits), ou de la piquette "0 lé assez bon por in méchant pésan" (c'est assez bon pour un pauvre paysan. Le mot méchant est souvent employé, mais pour dire de peu de valeur. Ici, c'est que le paysan est un homme pauvre et représente peu dans l'échelle des hiérarchies). Le vin, c'est pour vendre (faut des sous), et le négociant n'est pas trop généreux. Aujourd'hui, les fûts sont vides, les pièces d'un tonneau (chez nous, quatre barriques), les fûts de roulage, les muids, les barriques, les demis, les quarts et quarteaux, tout est vide, à part la "bouéte" (la partie réservée pour la consommation familiale). Il y en aura suffisamment pour nous !
Heureusement voici les vendanges ! Le "bourriquet" (l'âne) arrive avec la charrette. "Rière... Rière... Rière..." jusqu'à temps que le cul de la carriole touche la "décharge". Les "basses", ces petites futailles d'une cinquantaine de litres, à un seul fond, dans lesquelles ont été entassés et foulés au pilon les raisins arrivent de la vigne. Elles sont tirées, poussées, portées, et la "vendange" est chavirée dans la "foulouère" (dans le chai, il y a une partie réservée pour faire le vin. Cette partie est dallée de pierres jointes au ciment, c'est le treuil, entourée d'un petit mur appelé banchot. A l'extérieur du banchot, est percé un réservoir dans le sol, entouré de pierres bien jointes elles aussi, qui s'appelle l'enchère. Le dallage est en pente. Sur un bout, est planté le vis. C'est une grosse tige filtée. Elle peut faire de six à douze centimètres de diamètre. Sur ce vis est posé la lanterne, pièce qui en descendant va serrer un assemblage de bois sur les raisins. Le jus ou moût s'écoule dans l'enchère et est pris là pour mettre dans les fûts. La foulouère est la partie de dallage sur laquelle on verse les raisins arrivant de la vigne. On finit de les écraser, on les laisse s'égouter avant de monter la treuilée autour du vis). Françoué ou ses parents, ou les "drôles" sont là, pieds nus (depuis fin mars, avril moment où arrivent au pays l'hirondelle et le coucou jusqu'après les vendanges) et "patrassent" (écraser avec les pieds, piétiner) sur les raisins. Le jus (le moût) coule dans l' "enchère" (définie plus haut). Un vieux balai de tamarin est jeté au travers du trou pour ne pas que les graines y passent.
On laisse égoutter. A la fin de la journée, la "treuillée" (dans l'île, on prenait les raisins dans la foulouère après que la plus grande partie du jus s'en fût écoulé, et l'on bâtissait avec les mains, autour du vis, un ensemble ayant la forme d'un tronc de pyramide : c'était "monter la treuillée") sera bâtie autour du "vis à lanterne" (un gros vis muni d'un gros écrou autour duquel étaient réservés des emplacements pour engager une grosse perche de bois. Plusieurs hommes faisaient descendre cet écrou en tournant autour du vis. C'était le moyen de presser "la vendange" pour en faire sortir le jus de raisins). Elle sera bâtie à la main. François n'est pas assez riche pour avoir acheté "ine quisse" (claie appelée clisse). Sur cette treuillée, pour la maintenir, sont disposées les "aiguilles", les "gorchons", la "treue" (pièces de bois de plus en plus volumineuses et lourdes). L'on va serrer en baissant la "lanterne" autour du vis à l'aide d'une très grande barre de bois dur. Le jus va couler dans l 'enchère", et aussitôt l'on prendra la "canette" (seau de bois) pour transvaser le moût dans les fûts.
C'est pourtant vrai, on parle, on parle et le texte s'allonge !... Mais c'est si bon de parler de la "vendange"... et ça sent bon ! et le vin nouveau, ça se boit bien ! mais attention à la "chiasse". C'est l'euphorie pendant toute la période "Et, o rente des sous" !...
On enfûte le rouge, de l'"othello", dau "balzat" "et "dau bian", la "folle", le "colombard" (noms de cépages blancs, bons pour faire le bon Cognac) "Voilà c'qui fait d'Ia boune alcool !".
Les vendanges finies, c'est "la ch'vaille" (fête qui marque le dernier jour des vendanges, avec un repas offert par le propriétaire du vignoble. L'on y mange beaucoup et l'on y boit beaucoup). L'on mangera bien, l'on boira et l'on chantera les chansons en patois de notre bon Goulebenéze.
L'vin bian, l'vin bian li thieu que reun' rempiace,
L'vin bian, l'vin bian Vaut mieux qu'tout'zeu vinasse,
L'vin bian, l'vin bian 0 vous r'met l'thieur en piace,
L'vin bian, l'vin bian Vous rajheu'zit d'vingt ans.
(sur l'air de froufrou)
Dans un si grand chai.., on en met des choses : le quart de "gnôle" (quart, nom donné à une petite futaille. Le quart est le plus souvent de cinquante-cinq litres, c'est-à-dire quart de barrique qui fait deux-cent-vingts litres, et, partant la demi-barrique cent-dix litres. Mais il y a souvent, portant le même nom, des "quarts" de soixante, quarante, trente litres ou même moins. La gnôle, c'est l'eau de vie, titrée à 72° comme la livraient "les bouilleurs de cru") celui du "pineau" (liqueur faite dans la Saintonge avec du moût de raisin et de l'eau-de-vie), et dans le coin le plus éloigné du vin, sur une très large pierre plate scellée dans le mur, le quart de vinaigre. Celui qui a été mis à l'écart à cause des moucherons qui transportent la mycoderma acéti.
Et du matériel de toute sorte, en a t-on entassé ici ! Le "boyard" (brancard servant au transport de la vendange et de toutes les matières lourdes) les "basses" à vendanges, les "bassiots" (paniers de bois pour recueillir les raisins coupés) ; pendus aux murs, de vieux cercles pour les futailles, et combien de vieilles choses que l'on pense encore utilisables ; par terre, des "âcries" comme au grenier, mais moins délicates, des vieilles pioches, avec celles qui peuvent encore servir et qu'on appelle ici, dans l'île, "essée", "mare", "bouelle", et "pit" de toutes sortes ; des boites de pointes rouillées et tordues, mais qui serviront quand même ! ; des "saloperies'' trouvées à la côte (on est pas pilleur d'épave, mais ce qui peut servir doit être ramassé, ah !ah !).
Et enfin, les bois de charpente, c'est pour servir ; on y met les perches, les belles et longues planches, les madriers toujours de la côte (il en vient tant l'hiver, après les naufrages, jusqu'à deux par jour). Tout cela est camouflé des regards indiscrets, quoique "tout le monde" en fasse autant. Là, encore à l'abri de la casse, sur la charpente, le matériel délicat de "saunerie" (l'industrie du sel), car le laboureur paysan est aussi saunier, et "rabales", "rouables", "simouche", "servois" "boguet à vase", "panier borceau" sont choses délicates.
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